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Les enjeux du Métavers selon Frédéric Cavazza

Les enjeux du Métavers selon Frédéric Cavazza

METAV.RS / Les enjeux du Métavers selon Frédéric Cavazza
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Métavers, Finance décentralisée, Web3 et NFT sont des thématiques qui suscitent graduellement l’intérêt des néophytes sur le numérique. Adepte depuis 25 ans de sujets tournant autour du web et de la transformation digitale, Frédéric Cavazza nous livre sa vision autour des enjeux du métavers d’aujourd’hui et de demain.

 

  • Vous avez expliqué dans votre article sur « Le métavers est une échappatoire numérique aux GAFAM » que les marques s’installant dans les espaces virtuels misaient davantage sur une croissance de la notoriété que sur la rentabilité. Mais si le groupe Meta serait finalement en mesure de contrecarrer la propension des autres métavers, quelles solutions reste-t-il aux marques pour se libérer de ce monopole?

En vérité il y’en a peu. Les métavers sont des médias, un moyen de transmettre des messages. Mais les métavers sont plus que des supports de communication. Ils hébergent des environnements 3D et accueillent des expériences. Ils exigent des infrastructures techniques très coûteuses ainsi que des équipes de développeurs à la pointe pour pouvoir proposer des fonctionnalités différenciantes. Tout ceci représente des coûts colossaux et en prime, il faut recruter des utilisateurs, les inciter à se créer un compte.

Selon cette lecture, Meta a clairement une longueur d’avance avec ses 3 milliards d’utilisateurs captifs ainsi qu’un budget de $10 milliards en R&D, ce qui lui donne un avantage considérable dans la course au métavers. Il en va de même pour Google, Microsoft ou prochainement Apple. À la question de savoir si Meta va contrecarrer les start-ups naissantes sur le créneau du métavers, l’avenir nous le dira. Mais ce qui leur manque, c’est une large audience, susceptible de viabiliser leur modèle économique et de séduire de nombreux annonceurs.

Le constat est donc que les marques se retrouvent sans réelle solution face à ces monopoles. Les métavers restent néanmoins des supports intéressants à explorer, car ils représentent un marché en devenir sans réel monopole (pour le moment).

  • Si le principal enjeu du métavers est finalement de répondre à des attentes utilisateurs et de créer de nouveaux usages, quelles pourraient être ces attentes et usages selon vous ?

En guise d’attente, il y aurait dans un premier temps l’envie de nouveauté, étant donné que l’on a pratiquement tout exploré des usages possibles sur nos smartphones. Nous avons déjà les messages via les médias sociaux, les photos, les vidéos sous plusieurs formats notamment les reels d’Instagram, les stories de Snapchat, les challenges Tiktok,etc. Les utilisateurs aspirent continuellement à la nouveauté et les environnements 3D seront certainement cette porte vers l’inédit, couplée à l’appropriation d’avatars etc.

Le besoin d’évasion aussi est un enjeu auquel tend à répondre les métavers. Les trois dernières années n’ont clairement pas été réjouissantes pour l’humanité et ce désir d’échapper au quotidien va pousser les utilisateurs à aller vers des réalités alternatives.

Avec les confinements répétitifs, le secteur du jeu vidéo, déjà en croissance, a explosé. Je parle des jeux vidéo parce que selon moi, il faut lier jeux vidéo et métavers. Le métavers comme beaucoup le savent, n’a rien de nouveau. Et la tranche d’âge des joueurs de jeux vidéo se situe davantage autour de la trentaine, autrement dit, le public le plus à même d’utiliser le métavers.

  • Pensez-vous que les métavers d’aujourd’hui cochent les cases de ce qu’on peut appeler « innovation » ?

Le métavers selon moi n’est pas une innovation, parce qu’il existe depuis de nombreuses années déjà. Les univers virtuels existent depuis une vingtaine d’années (Cf. Second Life), les réalités virtuelle et augmentée depuis une quinzaine d’années. Le terme métavers lui-même est vieux de trente années. Il est surtout remis au goût du jour, grâce à une nouvelle architecture et de nouvelles fonctionnalités.

  • Vous parlez beaucoup du métavers comme d’une solution incrémentale, ce qui va permettre de passer à un niveau supérieur. N’avez-vous pas la même vision des NFT ? Pourquoi ? En est-ce l’usage actuel qui le justifie ?

« Le NFT n’a pas d’équivalent dans l’histoire des usages numériques ». Frédéric CAVAZZA

Cela peut être considéré comme une innovation car auparavant nous n’avions pas d’équivalent. La commercialisation des certificats d’authenticité numériques est quelque chose de totalement inédit. Pour ce qui est des usages, c’est appelé à évoluer. Pour l’instant, qu’un artiste puisse en faire une source de revenus complémentaire est selon moi un usage bénéfique et intéressant. Je crois cependant que cela va rester un secteur de niche, rassemblant des communautés de passionnés ou de collectionneurs.

Pour ce qui est des marques, elles ne sont évidemment pas toutes éligibles à l’adoption des NFT. Nike par exemple a eu tout intérêt à exploiter la puissance de sa marque à travers des NFT parce qu’elle s’adresse à une audience de collectionneurs.

  • Vous avez dit que le groupe Meta était le plus à même de construire le métavers tel qu’il se conçoit véritablement. Pensez-vous qu’il peut louper le coche et se rater ? Quels seraient selon vous, les facteurs qui conduiraient à l’insuccès de Meta pour le déploiement du « métavers » de demain ?

Meta pour commencer, possède l’infrastructure technique nécessaire à la création d’un métavers complet. Et rares sont les sociétés qui l’ont (Google, Amazon et Microsoft par exemple). En plus de l’infrastructure technique, il faut les compétences et les moyens financiers nécessaires. Et pour l’instant, Meta ou Microsoft sont les plus à même de réaliser ce projet d’envergure.

Cependant le principal facteur d’insuccès de Meta dans la progression vers le métavers serait le facteur économique. Aujourd’hui, un utilisateur lambda est équipé d’un smartphone, d’un ordinateur, d’une TV… Ces objets sont à renouveler environ tous les 3 à 5 ans, ce qui fait qu’il y a une priorisation et un arbitrage budgétaire dans les achats. Si en dehors de ces appareils l’utilisateur lambda doit en plus posséder un casque de réalité virtuelle qu’il doit aussi remplacer périodiquement, ça peut sembler un gros frein à l’adoption. Autrement cette technologie s’adresserait aux plus aisés, et là ça réduirait fortement la base adressable.

Pour le moment, nous pouvons difficilement envisager à court ou moyen terme une base adressable proche du milliard d’utilisateur, sauf à élargir la définition du métavers et à y inclure les jeux en ligne.

  • Qu’entendez-vous par « dilemme » de l’innovateur ?

Le dilemme de l’innovateur, c’est le fait d’être premier et dominer son marché, d’être rentable, et donc d’avoir tous les pions de son côté pour entamer, sinon réussir une transformation, mais préférer rester dans sa zone de confort. Ce qui se passe généralement c’est que ces entreprises vont être freinées dans leur course à l’innovation par leurs actionnaires qui eux, attendent des dividendes. Cette situation peut potentiellement être un obstacle majeur à la transformation d’une entreprise.

Après tout, pourquoi prendre le risque de se transformer quand on est leader sur son marché ? Ceux qui ne sont pas leaders en revanche auront moins à perdre à tenter de s’implanter dans d’autres marchés. Et cet état de fait montre combien Meta a fait ce qu’aucun mastodonte du numérique n’avait fait auparavant : au sommet de la gloire, ils décident quand même de se transformer en Meta, pour mieux s’implanter dans les univers virtuels, c’est une preuve tangible d’audace et d’ambition.

  • Si pour vous l’avenir du métavers se situe plus dans les jeux-vidéo que dans la crypto, n’y a-t-il justement pas un moyen de concilier les deux ?

Je n’en vois pas. L’univers de la crypto a ses usages, notamment le wallets numériques qui demeure assez laborieux pour des non habitués, sinon intimidant. Et si l’Union Européenne ou l’administration fiscale s’en mêle, ça risque de fortement réduire le potentiel de croissance d’une combinaison de ces deux. En France, par exemple, on est sur à peine 8% de la population selon une étude d’Ipsos qui utilise de la crypto. Sans compter que les réels gains ne représentent que sensiblement 50% des bénéfices, étant donné qu’il y a des frais de sortie importants et que les bénéfices sont imposables. La crypto a de fortes chances de rester un secteur de niche, avec d’un côté les spéculateurs, les collectionneurs, et d’un autre les communautés d’action à travers les DAO (Organisations Autonomes Décentralisées).

Le seul véritable moyen pour démocratiser les cryptomonnaies, serait de passer par une étape intermédiaire et le déploiement des monnaies numériques légalisées par les états, comme au Brésil avec Pix. Nous avons déjà en France, des systèmes de paiement numériques (PayPal, PayLib, Lydia…), mais l’implication de l’État pour légaliser une plateforme de paiement 100% numérique serait un excellent moyen de faire sauter les verrous psychologiques des consommateurs et de développer les usages. La prochaine étape logique serait ensuite d’adopter des monnaies numériques alternatives, les cryptomonnaies, mais nous n’en sommes pas encore là.

Pour découvrir le point de vue d’acteurs du Web3, lisez FASHION METAVERSE & SNEAKERS : ITW AVEC NICOLAS ROMERO